samedi 28 mai 2011

Mythe et réalité

Il y a quelques mois, je vous avais fait part de mes sentiments à l'égard des mythes.
J'avais surtout insisté sur leur aspect rationnel, en dépit de tout ce qu'on a pu nous dire à l'école : les mythes ne sont pas que de jolies histoires destinées à rassurer les peuples "primitifs" qui ne disposaient pas encore de la science, ils sont aussi des discours complexes, visant à mettre des mots sur l'inexplicable à l'aide d'une rationalité qui leur est propre.
Les mythes sont une voie d’accès au divin, j'en suis convaincue.



J'ai pourtant l'impression de ne pas avoir exploré toutes les facettes du problème. Bon, ok, pour explorer "toutes" les facettes, il aurait fallu que je ponde une thèse de dix-mille pages qui m'aurait demandé 20 ans de recherches, ce qui est totalement hors de ma portée.

Mais en me promenant sur la toile, je me suis rendue compte que je n'étais pas totalement d'accord avec un bon nombre de neo-païens/wiccans ecclectiques/sorcières (rayez la mention inutile) en ce qui concerne l'interprétation des mythes.
J'ai conscience que je vais peut être me fâcher avec les trois-quart des gens qui me lisent ici, mais tant pis, j'ose quand même : je ne crois pas que les mythes soient vrais et je ne crois pas aux dieux et aux déesses qu'ils décrivent.

Ce n'est pas de la provocation gratuite, ne m'envoyez pas au bûcher tout de suite. Qu'est ce que je veux dire par "ne pas croire" ? Eh bien, je veux dire que je ne crois pas qu'une entité spirituelle appelée Isis, Perséphone ou Cernunnos se balade au dessus de nos tête, à l'affut des prières des hommes et des femmes qui lui vouent un culte. Ce en quoi je crois par contre, c'est ce qu'ils représentent : les forces, les dynamiques, les concepts auxquels on a attribué une représentation anthropomorphique.

Je ne dis pas que prier Isis, Perséphone ou Cernunnos n'a pas de sens, bien au contraire : les dieux et déesses sont des représentations culturelles et mythiques qui nous sont familières, qui véhiculent des concepts forts et qui n'ont pas besoin d'être intellectualisées pour être comprises. Elles ont du sens pour certains d'entre nous, et c'est tout ce qui compte.

Avoir un lien particulier avec un dieu ou une déesse ? Pourquoi pas ! C'est une idée intéressante que de se lier avec un aspect de la vie particulier, que de se fondre dans une culture, que de faire jouer son imaginaire et ses sentiments profonds sans se sentir obliger de se livrer à une analyse "crue" qui abimerait l'aspect mystique des choses.

Si "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles", alors pourquoi est-ce que je la ramène à ce sujet ? Parce que je suis mal à l'aise à chaque fois que je lis une discussion qui tourne à la joute idéologique au sujet d'un dieu ou d'une déesse, avec des gens qui deviennent aussi tatillons que des juges d'un tribunal d'inquisition. Comme si le sous-titre de leur conversation était "on ne pense pas les dieux comme ça".
Ça n'a juste aucun sens pour moi. Bien sur, on peut débattre des composantes culturelles et historiques des dieux : dire qu'Athéna était la déesse de la beauté chez les Egyptiens au Xe siècle avant J.C. est une aberration, on est d'accord, mais ce sont plus des débats d'historiens que des débats de croyants pour moi.

Ça me met peut être aussi mal à l'aise, parce que je suis fatiguée d'être considérée comme une nunuche crédule dès que je parle de ma spiritualité... J'ai conscience que dans toute conception religieuse, il y a une part de mystique, d’inexplicable, de non-rationnel... Je respecte ça, chacun place le mystique où il l'entend. Mais il se trouve que moi, je ne le met pas là.

Ce qui ne m'empêche pas de me référer aux dieux dans ma pratique ! Peut être pas d'une manière "classique", certes, mais je n'ai pas l'impression que cela contredise mon besoin de rationnel ("mes" déesses "existent", mais seulement dans ma tête et dans mon cœur, ce qui me suffit amplement en fait ^^)

Comme d'habitude, je voulais faire une petite introduction de rien du tout pour parler d'autre chose, et je me suis étalée. Du coup, je reporte mon propos initial dans un autre article : le mythe d'Eros chez Platon (nannn ne partez pas, je vous jure que c'est intéressant ^^)



Crédit photo : "Myth" de Kristy Bowen.

dimanche 22 mai 2011

Madeleine de Proust...

Alors que je fouillais dans mes vieilles affaires (les vraiment vieilles, celles qui se cachent dans des cartons au fin fond de ma buanderie et auxquelles je n'ai pas touché depuis des années), je suis tombée sur une vieille collection de cartes à jouer qui a fait ressurgir pleins de souvenirs.

Lorsque j'avais une dizaine d'années, la grande mode dans ma cour de récré s'appelait "Deus" : un jeu de carte à collectionner ayant pour thème la mythologie de plusieurs civilisations : grecque, indienne, inca, celte, nordique,...
La plupart des cartes représentaient un dieu ou une déesse, avec une petite description et un degré de force. Les autres montraient des sacrifices, des rats grouillants, des têtes coupés, et tout un tas d'autres réjouissances. Le tout avec des dessin au mieux, de très mauvais gout, au pire, totalement gore.

Avec le recul, je me rends compte à quel point ce jeu était affreux. Les dieux ressemblent à des champions de body-building très en colère, et les déesses font penser à des actrices porno. La grande classe ^^'




Oui, c'était un petit peu violent comme conception des dieux ^^ Peu de filles s'intéressaient à ce jeu, je crois même que j'étais la seule dans ma classe.

C'est a peu près à cette période que j'ai commencé à m'avaler des livres de mythologie comme des berlingots, ce qui m'est finalement d'une grande utilité aujourd'hui.

Je me suis souvenue des déesses que je préférais lorsque j'étais petite, celles que j’incarnais lorsque nous jouions "aux dieux" avec mes camarades de classe : Frigg, Mama Cocha (déesse inca de la mer), Pukkeenegak (déesse nourricière chez les inuit), Hina (déesse maori de la lune)... Je suis contente de les avoir retrouvées, ces déesses que j'avais oublié...

En retrouvant cette collection, j'ai aussi compris pourquoi, même aujourd'hui, je suis très mal à l'aise à l'idée de travailler un jour avec Kali. Visez un peu l'image qui a dû s'imprimer en moi :


Ça explique beaucoup de choses. Finalement, ce jeu m'a peut être plus marqué que je ne le croyais.

vendredi 20 mai 2011

[Livre] Dianne Sylvan - The Circle Within

Voici le compte rendu d'une lecture qui m'a vraiment emballée, posté initialement sur le forum de la Ligue Wiccane Eclectique. Je me permet de la reproduire ici, et au passage d'inaugurer une nouvelle section "Livre" pour causer de mes coups de cœurs littéraire.

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Découvert il y a quelques jours, The Circle Within de Dianne Sylvan est un livre qui m'a beaucoup plu, et que j'aimerai vous présenter ici.



Voici la quatrième de couverture :

«  You've read the books, assembled the tools, celebrated full moons, and attended public sabbat rituals. You're Wiccan – but are you really living and breathing your spirituality ? Being Wiccan means walking the path twenty-four hours a day, seven days a week – not just on full moons and sabbats.

The Circle Within is your guide to creating a personal spiritual practice for daily life. The first section is a thoughtful examination of Wiccan ethics and philosophy that explores how to truly live Wicca. The second section includes devotional prayers and rituals that provide inspiration for group or solitary practice.

Topics in this Wicca book include: cultivating an ongoing personal relationship with deity, ethics and standards of behavior, concepts of sacred space, elements of a daily practice, tuning into the Wheel of the Year and the elements, and creating meaningful personal Pagan rituals.

Move beyond the basics of Wicca and enter the sacred space of the circle within. »


Si vous trouvez que la description sonne un peu extrémiste, ne vous inquiétez pas, j'ai ressenti la même chose. Je me suis tout d'abord demandé qui était cette bonne femme qui prétendait m'expliquer quelle est la bonne façon de pratiquer ma « religion » (parce que bon, faut pas exagérer, si j'avais envie d'une religion qui me dise comment agir à la minute près, je ne serais probablement pas ici à vous parler).

Au fil de ma lecture, je me suis rendue compte que la description était assez trompeuse : Dianne Sylvan n'impose rien, elle offre des pistes de réflexion, voilà tout. Que signifie « être Wiccan » ? Quelle est la nature de la relation que nous entretenons avec le Divin ? Quelle éthique sous-tend notre pratique ? Autant de questions que ce livre soulève et auxquelles l'auteur tente de répondre, sans toutefois être dogmatique.

Car ce qui est sans doute le plus intéressant dans ce livre, ce ne sont pas les début de réponses données mais la démarche de l'auteur, à la fois lucide et curieuse, exigeante aussi, mais pleine de sens.

Une partie assez conséquente du livre est dédiée à la pratique quotidienne et à la prière. A la base, je ne suis pas une grande fan de prière, sans doute parce que je suis une affreuse cynique et/ou rationaliste qui n'aime pas trop l'idée de causer avec les forces de la natures comme avec mes voisins de palier. Mais après la lecture de ce livre, je suis tentée de changer d'avis : peut-être parce que l'auteur en parle comme d'une chose très naturelle, pas du tout « forcée », peut être aussi parce que l'intelligence de son propos m'ont aidé à dépasser certains doutes...
Le dernier chapitre du livre propose d'ailleurs un certain nombre de prières et dévotions : je ne sais pas si je m'en servirai un jour (et pourquoi pas après tout ?), mais elles ont le mérite d'être joliment écrites.

Dernier détail, mais non des moindres : ce livre est très agréable à lire. On l'impression d'assister à une réflexion ininterrompue faite à haute voix, et pas du tout à un monologue pompeux. Le style est familier, frais, drôle parfois.

En conclusion, comme vous pouvez vous en douter, j'ai aimé ce livre. Bien sur, tout n'est pas parfait, et tout n'est pas à prendre au pied de la lettre (comme dans n'importe quel livre en fait) : Dianne Sylvan est un peu réac' sur les bords (moi ça me fait rire personnellement), assez critique, très (trop?) exigeante. Elle exagère un peu parfois, mais ça ne suffit pas à enlever ses qualités au livre.
 

Tous en coeur : "Je ne procrastinerai plus !"

Je réalise tous les jours un peu plus à quel point je suis une mauvais blogueuse.
Des mois sans mettre les pieds ici, sans écrire le moindre article, sans donner signe de vie...
Pourtant je suis bel et bien vivante, et ce n'est pas vraiment les choses à raconter qui manquent.
Et le plus beau : devinez ce qui m'a finalement décidé à ramener mes fesses ici ? La... procrastination, exactement !

Mon premier examen a lieu mardi prochain : c'est donc pile le bon timing pour me remettre à écrire sur mon blog !


Que s'est-il passé depuis le dernier épisode ?

  • Je me suis tenue à mon programme de remise en forme spirituel dont j'ai parlé dans mon dernier article (si, c'est vrai !) : méditations, lâcher prise, exercices (merci Starhawk)... J'ai l'impression que tout ça a porté ses fruits : je me sens beaucoup plus sereine spirituellement parlant, et mon jacassement métaphysique incessant s'est calmé.
  • Je me suis mise à bricoler des tas de choses de mes blanches mains. Le résultat est loin d'être prodigieux, mais je trouve ça très agréable, surtout que j'ai habituellement beaucoup de mal à créer quelque chose sans m'arrêter en plein milieu en m'écriant "mais c'est MAUVAIS !". Bref, ça me fait du bien, et c'est l'essentiel.

Et je vais arrêter de spoiler plus le compte rendu de ma vie fascinante, histoire d'en garder un peu pour d'hypothétiques prochains articles ^^

mercredi 2 mars 2011

In the eye of the tiger

Après mes deux derniers articles pas vraiment enjoués, je me suis dit qu'il fallait que je me ressaisisse un peu. Et que je fasse une référence musicale moisie dans le titre de mon prochain article (ça c'est fait).

J'en ai profité pour :
  • relooker un peu ce blog, histoire de ne pas avoir envie de me pendre à chaque visite
  • ranger mes cd d'électro-pop suédoise déprimante dans un coin
  • ne pas lire Kierkegaard (très très mauvaise idée)
  • préparer la venue du printemps dans ma tête (il va revenir, j'y crois !) : pensées positives, contemplations des premiers bourgeons sur l'arbre de mon jardin,...
  • travailler sur la légèreté, le lâcher prise, l’émerveillement, l'absurde, la joie...
Que vient faire Rocky Balboa dans l'histoire ? Strictement rien. Je me suis juste souvenue d'un scène très drôle de Persepolis dans laquelle l'héroïne, Marjane, décide de se reprendre en main après une grosse baisse de régime.

 

Ok, je ne suis pas une jeune iranienne vivant sous un régime dictatorial et intégriste, et mes petits bleus à l'âme ne valent pas grand chose lorsqu'on les met en perspective, mais un peu d'humour ne tue pas, et j'ai envie d'avoir la pêche comme elle.
Y'a du pain sur la planche les enfants ! Je me suis donc concocté un petit programme de remise en forme, avec du concret et des objectifs à court-terme dedans.

La suite très prochainement !

 

jeudi 24 février 2011

Hegel et la mort de la pensée

Avertissement : cet article fait suite à un premier dans lequel je chouinais sur l'état de doute perpétuel dans lequel je me trouve en ce moment. Et puis, alors que j'étais en train d'écrire, je suis partie en vrille et j'ai commencé à taper un pavé sur Hegel et son ouvrage : la Phénoménologie de l'Esprit.

Je ne sais pas trop ce qui m'a pris, j'avais peut être envie de partager avec quelqu'un mes impressions sur cette lecture qui m'a profondément marqué. Peut être en vain, mais je tente le coup.

Je vous préviens, la Phénoménologie est un ouvrage complexe, Hegel est un auteur brillant mais dur à suivre, et c'est un vrai challenge pour moi d'essayer de l'expliquer (enfin, ce que j'en ai compris, mes profs de philo me tueraient peut être en lisant cet article). Aussi, pardonnez mon ton parfois familier et désinvolte, j'ai tenté d'écrire de manière orale et familière pour faire passer la pillule.

Deuxième mise en garde : Hegel, c'est très beau, mais ce n'est vraiment pas joyeux, léger, ou rock'n roll. Accrochez vous. Je promet à ceux qui tenteront l'aventure qu'ils en tireront quelque chose : au mieux, la découverte d'un auteur fabuleux dont l'influence sur la pensée contemporaine a été décisive (et peut être même un enseignement spirituel) ; au pire, vous pourrez briller lors de vos dîner en ville en vous exclamant "Hegel ? D'un ennui !".

Allez, 3, 2, 1, let's jam !

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La dialectique du maître et de l'esclave est une idée selon laquelle la conscience de soi se dédouble en deux forces, l'une dominante et l'autre dominée. Il ne s'agit pas là d'une expérience mystique où du résultat d'un mélange pas très heureux d'alcool et de drogue, mais de quelque chose que l'on peut tous ressentir : on peut être dominé par ses émotions, ses peurs, son rapport aux autres...


Le maître, ce qui domine en nous n'est prêt à aucun compromis : ça se fera comme ça, ou ça ne se fera pas du tout, c'est ça ou tout s'arrête. L'esclave, ce qui est dominé, ne veut pas disparaître, et accepte de passer au second plan.
Ce n'est pas super clair, mais reformulons comme ça : l'esclave, c'est peut être cette petite voix en nous qui dit "puisqu'il le faut..." et qui s'écrase face aux impératifs.

On s'accroche, ça va devenir de plus en plus abstrait et imagé.



Ce qui va se passer entre ces deux forces, c'est que la maître, qui est satisfait, ne se remet plus en cause. Il a eu ce qu'il voulait, c'est maintenant au reste de faire en sorte que tout marche bien. Ce qui est réprimé en nous, par contre, doit agir pour satisfaire les attentes du maître, et découvre au passage qu'il a une certaine sphère de liberté : plus le temps passe, plus il comprend que toute sa vie ne tourne pas autour du maître, qu'il peut fournir un minimum d'effort et continuer à exister pour lui même. Il conquiert son indépendance.

Bingo, l'esclave comprend que même dans la soumission, il est libre, pas par essence comment le maître, mais libre via l'existence.

Et c'est la que tout se gâte. Se sentir libre et soumis à la fois, c'est une situation très désagréable. Que faut il faire : lutter pour devenir le nouveau maître ? Impossible, si l'on s'est soumis, c'était pour de bonne raisons, pourquoi risquer de tout perdre maintenant ?

On peut aussi choisir de tout regarder de haut : "Ah ah, vous pensez me soumettre, croyez-y tant que vous voudrez, au fond de moi je sais que je suis au-dessus de tout ça et que vos conneries de dominations ne me concernent pas. Ça vaut peut être pour les autres, mais pas pour moi". Ce stade, Hegel l'appelle le stoïcisme : la faculté de voir les rapports de domination, la lutte entre maître et esclave, en refusant de s'y inclure.
Problème : Si l'on comprend que tout est dominé, dominant, ou les deux à la fois, pourquoi serions nous l'exception ?

Et là, c'est le drame, le stoïque va connaitre le bug du siècle (au sens littéral) : il comprend qu'il fait partie du "tout", de ce qui l'entoure, du rythme effrénée du monde, des jeux de dominations. Il a beau prendre conscience des chose, il ne peut pas tout appréhender puisqu'il en fait partie. Et la sale petite voix du doute se fait entendre :"Et si ? Et si je ne comprenais rien ? Et si je me trompais sur toute la ligne ? Et si tout ce que je pense n'étais que le fruit de mon aveuglement ?". Parfois, il se ressaisit : "Mais non, ça j'en suis sûr, j'ai gagné ma liberté à la sueur de mon front, j'ai pris conscience du monde et de la manière dont il fonctionne". Et ça repart en boucle : je doute, je sais, je redoute, je sais,...
Le stoïque est devenu sceptique, et il ne s'en sort pas. Voici d'ailleurs ce qu'en dit Hegel :

« Cette conscience [sceptique] est donc ce radotage inconscient oscillant perpétuellement d’un extrême, la conscience de soi égale à soi-même, à un autre extrême, la conscience contingente, confuse et engendrant la confusion. Elle-même ne réussit pas à rassembler ces deux pensées de soi-même ; elle connaît sa liberté, une fois comme élévation au-dessus de toute la confusion, et de toute la contingence de l’être-là ; mais la fois suivante, elle se confesse à soi-même qu’elle retombe dans l’inessentialité et qu’elle n’a affaire qu’à lui. […] Son bavardage est en fait une dispute de jeunes gens têtus, dont l’un dit A quand l’autre dit B, pour dire B quand l’autre dit A, et qui, par la contradiction de chacun avec soi-même, se paient l’un et l’autre la satisfaction de rester en contradiction l’un avec l’autre. » ( HEGEL, La phénoménologie de l’esprit, trad. fr. J. Hyppolite, vol. 1, Paris, Aubier, 194, p. 175.)


La conscience est devenue son propre "mauvais génie" (terme piqué chez Descartes, qui lui aussi s'était mis à douter de tout avant d'ennoncer son fameux "Cogito ergo sum" - Je pense donc je suis - mais ça c'est une autre histoire). Elle se torpille de l'intérieur en permanence...


Vous remarquerez qu'à ce stade, le constat n'est pas super poilant.  Mais ce n'est pas fini, la suite est encore mieux !


Comment sortir de l'impasse ? On se pend tout de suite ? Pas selon Hegel, qui annonce une nouvelle étape (en même temps, on n'est qu'à la moitié du premier tome, et le héros meurt rarement dans le premier quart d'heure du film, c'est bien connu).


Après avoir douté encore et encore, la conscience va se stabiliser autour d'une certitude : elle est malheureuse. Cette reconnaissance de son malheur est décisive : accepter son malheur, c'est accepter la mort de la pensée. Pas au sens "Bon bah si c'est comme ça, j'arrête de penser et je me tape l'intégrale de Secret Story en boucle jusqu'à la fin de mes jours", mais plutôt "J'accepte de penser tout le reste de ma vie tout en sachant que cela n'a pas de sens".
Oui, c'est assez dur. On sent l'influence du bouddhisme dans la pensée de Hegel, ça n'est ni tendre ni complaisant, mais il parait qu'on se mieux après avoir fait le deuil du sens.
D'ailleurs, vous vous souvenez du fameux "Dieu est mort" de Nietzsche ? Bah c'est pas de lui. Enfin, si, mais Hegel l'a dit avant lui, et justement à ce moment là de son ouvrage. J'aime beaucoup se passage, qui montre comment le malheur de la conscience humaine s'illustre spirituellement dans l'histoire de la religion chrétienne.



En effet, Hegel va réinterpréter le triptyque chrétien (dont on a tous entendu parler sous la forme "Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit"), en fonction de sa thèse :
  • Le Père, Dieu, c'est la réalité ultime, l'universel (la conscience du tout) qui ne nous est pas donné. Pour devenir accessible, il a dû s'incarner.
  • Le Fils, Jésus, arrive parmi les hommes. L'universel s'incarne et n'est plus inaccessible, mais il meurt sur la croix. 
  • Reste le Saint-Esprit : C’est l’universel mais qui ne se donne jamais que sous une forme précaire, transitoire, faillible et toujours dans la relation à autrui. L’universel est toujours en péril mais il n’est pas mort (alors que Dieu est mort).


Résultat des courses : 
Le malheur de la conscience est qu’elle doit supporter cet état précaire de la compréhension du tout
Il y a un moment de grande lucidité de la conscience qui comprend que l’important nous échappera toujours mais qu’on le cherchera toujours. Elle vise à saisir ce qui lui importe mais le manquera toujours un petit peu. Une quête sans fin en somme, c’est pourquoi la conscience est un moteur.

Le malheur de la conscience est ce qui fait sa force.


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Si vous êtes arrivé au bout, félicitation ! Je n'y suis pas allée de main morte, mais vous avez tenu bon.


Si ça vous a plu, j'en suis ravie ! Pour aller plus loin, je vous conseille :
  • Hegel, de Benoît Timmermans, collection "Figures du savoir" aux éditions Belles Lettres : ce n'est pas un livre de vulgarisation, mais ça reste moins trash que le texte original. L'ouvrage dresse un panorama de l'oeuvre de Hegel.
  • Phénoménologie de l'Esprit, de Hegel, traduction de Jean Hyppolite, éditions Aubier Montaigne : Si vous êtes décidés à affronter la bête, bon courage déja, et choisissez la traduction d'Hyppolite. Elle coute plus cher, certes, mais elle est moins littérale et plus abordable que les autres.
Si vous n'avez rien compris, mais que ça vous titille quand même, posez toutes les questions que vous voulez.

Si vous n'en n'avez rien à carrer, tant pis, j'aurai essayé !

Doute hyperbolique

C'est la dèche, les enfants...
Cela va faire un mois que je patauge spirituellement, philosophiquement et tout un tas de trucs en -ment.
Comme toujours, tout a commencé de manière assez pernicieuse, par de petites questions matérielles qui dégénèrent en grandes remises en cause existentielles.
Comme toujours, cela fait suite à une période d’exhalation intense au cours de laquelle j'ai cru avoir milles idées, milles intuitions, et où j'ai accumulé une tripoté de choses à lire (je me suis lâchée, ma pile de livres à lire est un grand m'importe quoi gigantesque où tout se côtoie : philosophie, histoire, sociologie, ésotérisme... un amas bien présomptueux).

Ce qu'il y a de problématique quand on n'a pas "la foi", quand on ne croit pas en la providence, c'est qu'on ne peut se rattraper à aucune branche lorsqu'on vacille un peu. Et manque de bol, dans ma manière de voir le monde et dans mes conviction "pseudo-païenne" (je ne sais même plus si j'ai le droit de m'appeler comme ça), on est seul, perdu dans un ordre cosmique sacré, mais impersonnel. Parfois, je m'en veux d'être si terre à terre, de n'arriver à me reposer sur rien, au point que je me demande si mes recherches servent à quelques chose.

J'admire et j'envie ceux et celles qui semblent avoir trouvé ce qu'ils cherchaient et un certain repos spirituel. Ah, chère blogosphère païenne, j'ai beau te trouver gnagnasse la plupart du temps, j'ai beau te trouver gentillette avec tes "Grande Déesse" par-ci, tes "Blessed be" par-là, je suis la première à jalouser tes certitudes quand ça va mal...



Bref, surchauffe, je ne sais plus du tout où je vais (certes, on le sait rarement, mais c'est toujours désagréable d'en prendre conscience). Mais bon, comme Sainte Mamie Marie-Gertrude, Grand Rinpoché et Prêtresse au 10e degré le disait : "C'est dans l'errance qu'on apprend le plus". Alors ferme la et positive.

Le doute est une problématique vraiment fascinante en philosophie, tout comme dans le domaine religieux. Je vous épargnerai les banalités affligeantes du style "le doute est un sentiment universellement partagé... bla bla bla..." (ou pas, du coup), et je n'ai pas non plus envie de me lancer dans une étude comparée de la place du doute dans  le religion (que je serais bien incapable d'écrire du reste, j'ai de la mélasse à la place du cerveau).

Par contre, et parce que je suis d'humeur tout à fait jouave ce soir, j'ai envie d'aborder Hegel.
Hegel, c'est mon compagnon de déprime privilégié en ce moment. Quand je doute et quand je suis malheureuse de douter, je me dit "C'est pas grave poulette (oui, j'aime me donner des petits noms débiles), t'es pas seule, Hegel l'avait bien compris tout ça".
Vous vous souvenez en terminale, Hegel, la Phénoménologie de l'esprit, la dialectique du maître et de l'esclave ? On est en plein de dedans.


[ndlr : à l'origine, j'avais décidé d'enchainer immédiatement avec la présentation d'un bout de la Phénoménologie de l'Esprit. Je voulais faire ça de manière claire et rapide, mais j'ai totalement échoué : mon article devenait trop long et partait dans tous les sens. J'ai donc décidé de le scinder en deux partie, la seconde étant totalement consacrée à Hegel. Si une expérience philosophique hard-core vous tente, rendez-vous dans le second message !]


Crédit image : Milo (sur DeviantArt)