samedi 22 janvier 2011

Mythe et raison

En ce moment, je patauge gaiment dans les révisions, les examens et autres joyeusetés. Entre deux cocktails guronsan/café, j'ai trouvé le moment d'écrire cette petite réflexion au sujet du mythe. Vive moi.
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Bon j'avoue tout, cet article est très largement inspiré de mon cours d'histoire de la philosophie ancienne et d'un ouvrage de Lambros Couloubaritsis traitant du même sujet.
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Amis néo-païens, avouez-le, n'avez vous jamais éprouvé un micro poil d’embarras à l'idée de vouer un culte à des divinités vieilles de 2500 ans, reléguées il y a belle lurette aux livres d'histoire de l'art et au recueils de mythes et légendes ?
Évidemment, votre esprit cartésien a bien fait son travail de rationalisation : les mythes ne sont pas à prendre au pied de la lettre, ce sont les symboles qu'ils véhiculent que vous intégrez à votre pratique. Il n'empêche, le mythe à mauvaise presse et il est de moyennement bon ton lâcher au beau milieu d'un déjeuner de famille : "Mais oui grand-maman, je vénère quotidiennement Cerridwen, j'ai même un autel un autel à la maison qui lui est dédié".

Mais pourquoi au fait ?

Souvenez vous de vos cours d'histoire en 6e, de votre cours sur les grecs ou sur les égyptiens, de leur panthéon que l'ont vous présentait comme une galerie de curiosités ultra ludique ("et ce dieu là, il avait une tête de chacal !" - "Ohhhh !"). Ils étaient drôle ces peuples archaïques ! Mais pas très fut-fut quand même... Et dire qu'il n'ont rien trouvé de mieux pour expliquer la foudre que d'imaginer un vieux barbu bougon perché en haut d'une montagne... Fort heureusement, la philosophie est née, Descartes est arrivé (sans se presser), et l'on s'est ENFIN mis à réfléchir comme des gens censés...

Erreur.
On a longtemps considéré que l'avènement de la philosophie était caractérisé par l'abandon du mythe au profit de la raison. Cette assertion est fausse, pour deux raison.
  • Premièrement, le mythe n'a pas disparu de la pensée philosophique, on le retrouve chez Platon, qui parsemait ses dialogues de mythes inventés de toute pièce par lui-même, mais aussi chez des auteurs modernes ou même contemporains (Leibniz, Freud, Quine,...)
  • Deuxièmement, opposer d'une telle manière mythe et raison sous-entend que le mythe relève de l'irrationnel. Une telle supposition découle d'une conception étroite de la rationalité, telle qu'elle s'est peu à peu imposée en Occident. Or, dès le XXe siècle et grâce à l'affirmation de nouvelles disciplines telles que l'anthropologie et de la philologie, des chercheurs vont montrer que le mythe relève d'une forme de rationalité. Un rationalité différente de la notre, mais rationalité tout de même, organisée par un ensemble de règles et une logique rigoureuse.
Des penseurs issus de l'école structuraliste tels que Jean-Pierre Vernant ou Claude Levi-Strauss vont chercher à repérer et à analyser les structures inhérentes aux mythes.

Il apparait que la logique du mythe, contrairement à celle par laquelle nous sommes régis aujourd'hui, n'est pas une logique binaire (deux termes opposés tels que "bien" et "mal"), mais une logique ambivalente (fondée sur le principe de complémentarité des opposés, cf. le ying et le yang).

"C'est bien beau tout ça, mais est-ce qu'ils y croyaient vraiment ?"

La naissance de Vénus, Botticelli (d'après la Théogonie d'Hésiode)


Probablement que non. Au début de sa Théogonie (récit de l'origine des dieux), le poète grec Hésiode (VIIIe-VIIe siècle avant notre ère) fait dire aux Muses dont il se dit inspiré : "Nous savons dire des mensonges semblables à des réalités, mais quand nous le voulons, nous savons faire entendre des vérités".

Comment comprendre cette phrase ? Selon Lambros Couloubaritsis, Hésiode avertit son lecteur que le mythe qu'il s'apprête à exposer ne doit pas être compris littéralement, et que la vérité sous-jacente au texte a subi une distorsion. Pourquoi ?

Toujours d'après Lambros Couloubaritsis, "un mythe est un discours complexe à propos d'une réalité complexe où s'enchevêtrent le visible et l'invisible, et qui se déploie selon une logique qui lui est propre en fonction d'un schème transcendantal qui unifie l'expérience. En clair : la mythe à pour fonction de parler de ce qui nous échappe, d'une réalité dont on ne peut faire l'expérience. Comment parler de ce qu'on ne peut connaitre ? Grâce l'implémentation d'un schème, une image issue de l'expérience la plus familière possible à l'homme, qu'il projette sur une réalité abstraite afin de la comprendre.

A l'aide de schèmes (tels que la parenté, la violence ou l'amour), et grâce à la logique de l'ambivalence (qui implique un idée d'équilibre, de complémentarité), il est alors possible de donner à l'homme un aperçu de ce qui lui échappe et de l'organiser de manière intelligible.

Cette notion d'ordre a des implications pratiques : c'est grâce à cela que l'homme peut se situer dans le monde, et tenter d'agir sur le réel, par le biais de rites ou de prières. En plus d'élargir les possibilités d'expérience, le mythe véhicule également des préceptes d'ordre moral.

Pourquoi le mythe a-t-il perdu sa prédominance dans le discours ? Sans doute à cause de la distortion fondamentale dont il faisait l'objet. Pourquoi faire compliqué lorsqu'on peut faire simple ?

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Je reste intimement persuadée que le mythe est indispensable à l'appréhension du monde : malgré l'avancée de la science, il reste un tension entre visible et invisible qu'on ne peut balayer d'un geste de la main sous prétexte que "la science ne l'a pas prouvé". Comprendre le monde, c'est aussi comprendre qu'il y a des choses que l'on ne comprend pas.

6 commentaires:

  1. "Amis néo-païens, avouez-le, n'avez vous jamais éprouvé un micro poil d’embarras à l'idée de vouer un culte à des divinités vieilles de 2500 ans, reléguées il y a belle lurette aux livres d'histoire de l'art et au recueils de mythes et légendes ?
    Évidemment, votre esprit cartésien a bien fait son travail de rationalisation : les mythes ne sont pas à prendre au pied de la lettre, ce sont les symboles qu'ils véhiculent que vous intégrez à votre pratique. Il n'empêche, le mythe à mauvaise presse et il est de moyennement bon ton lâcher au beau milieu d'un déjeuner de famille : "Mais oui grand-maman, je vénère quotidiennement Cerridwen, j'ai même un autel un autel à la maison qui lui est dédié"."

    Hahaha, je me retrouve totalement. Très chouette article, et informatif, avec ça :) J'espère que tu ne t'arrêteras pas à 4 messages cette année ;)

    [Et merci pour ta visite chez "moi" !]

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  2. Merci beaucoup, ça me fait plaisir que d'autres se retrouvent là dedans.
    J'ai pris comme bonne résolution d'être un peu plus assidue cette année, et je m'engage à m'auto-flageller quotidiennement tant qu'un quota de 20 articles ne sera pas atteint ^^

    En tout cas c'est un plaisir d'avoir découvert ton "chez toi", j'y reviendrai, pour sur !

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  3. Je me retrouve aussi à fond dans le début de cet article. Très intéressant. Je suis en ce moment dans un travail pour concilier ma part hyper-rationnelle à celle qui sent l'invisible...c'est pas facile tous les jours ^^
    "Comprendre le monde, c'est aussi comprendre qu'il y a des choses que l'on ne comprend pas." J'adore cette phrase...

    Et c'est vrai qu'il y a toujours un préjugé par rapport à l'idée de vouer un culte à des vieilles divinités mais si on réalise que ce sont des forces plus ou moins éternelles, habillées différemment en fonction des cultures, ça devient moins absurde déja. Mais dans mes cours de philo quand le le prof parle des trois âges de l'homme et explique donc qu'il y a une claire élévation du niveau intellectuel quand on passe au monothéisme, ça m'énerve. Il y a une telle richesse humaine et intellectuelle, spirituelle, dans ces mythes, qui ont sans doute été distordus, modifiés, mais quand même. Réduire tout ça à des panthéons rigolos à têtes d'animaux c'est grotesque. Et puis c'était une vision pluraliste qui permettait de considérer en même temps plusieurs aspects de la vérité. Autrement plus complexe que de dire " bon voilà ça c'est la Vérité avalez ou crevez" Je vais pas dire que le paganisme est supérieur au monothéisme mais ce sont deux processus spirituels qui ont tous les deux quelque chose à apporter.

    Bon je crois que j'aimerais bien écrire une thèse sur le sujet mais bon ^^

    Ton blog est chouette, contente de l'avoir découvert, continue comme ça !!
    Bisous
    Skadi Bella

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  4. Ça me fait très plaisir ce que tu me dis là :)

    Note que tous les profs de philo n'ont pas un avis aussi tranché que le tien au sujet des religions non-monothéiste. Lambros Couloubaritsis tout d'abord, qui était prof de philo dans mon université, a vraiment défendu la thèse d'une pensée mythique rationnelle.

    J'ai aussi un prof de la philo de la religion qui n'hésite pas à mettre en parallèle des rites chamaniques avec des cultes chrétiens, sans en discréditer l'un par rapport à l'autre.

    Ce qui est beau dans l'étude des religions, c'est que l'on tente d'extraire la "moelle épinière" des croyances, d'en comprendre les différentes structures pour tenter d’appréhender le divin au travers d'une multitude de subjectivités...

    Bref, encore merci pour ton message, reviens quand tu veux :)

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  5. Ah alors, faut que j'aille squatter dans d'autres cours de philo. Je ne suis pas philosophe à la base, je suis en sciences politique mais j'ai vraiment adoré le cours de cette année ( malgré les opinions du prof sur le paganisme ) et surtout l'étude des religions, ça me passionne. Fais d'autres articles dessus quand tu veux :D

    ça devait être génial le parallèle christianisme/christianisme, c'est pas n'importe quel prof qui oserait dire ça !

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  6. C'est au programme, j'ai pas mal d'articles en préparation, notamment sur le pythagorisme, les penseurs ioniens, l'analyse structurelle des religions... Bref, au boulot :p

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